Vers la maturité du Web

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Abstract

Depuis son invention par Tim Berners-Lee en 1989, le web est passé par nombreuses phases d’évolution. Celles-ci l’ont rendu de plus en plus complexe au point d’en perdre son objectif premier : la simplicité et le partage avec tous. Heureusement, le W3C s’est mis au travail pour uniformiser les pratiques. Aujourd’hui, grâce aux standards que sont le XHTML et les CSS, on peut créér des sites liant esthétisme, interopérabilité et accessibilité.

Article

Petite histoire inattendue des Standards du Web à l'usage des débutants

Le coup de génie de Tim Berners-Lee

Lorsqu'il inventa le Web, Tim Berners-Lee, ingénieur spécialisé dans les logiciels de communication, visait à permettre aux scientifiques d'échanger aisément les résultats de leurs travaux. Selon les termes de sa proposition initiale à la direction du CERN en 1989, il voulait un système d'information relié universellement, dans lequel généralisation et portabilité [seraient] plus importants que graphiques avenants et autres fonctionnalités complexes. Assumant pleinement les contraintes résultant de ces objectifs, il privilégia la simplicité, la rusticité et s'en tint uniquement au texte. L'aspect de la page HTML s'apparentait alors plus à un courrier électronique en mode texte qu'à un document graphiquement élaboré. Contenu et facilité d'accès devaient être les véritables préoccupations du producteur d'information. La mise en forme était confiée à l'utilisateur final et aux outils dont il disposait.

Marc Andreessen – animateur de l'équipe qui développa Mosaic puis cofondateur de Netscape – fut de ceux qui ouvrirent la boîte de Pandore. Mosaic réussit à imposer le concept de navigateur graphique. En quelques semaines de l'année 1993, il bouleversa les usages et attira d'innombrables nouveaux internautes qu'il délivrait de l'obligation d'acquérir des compétences informatiques. De nouvelles balises furent ajoutées au langage HTML permettant d'insérer des images et d'enrichir la mise en page. L'attente était forte, le succès fut immédiat et massif. Je fus de ceux qui se ruèrent... Brutalement, le taux de développement de l'Internet mondial atteignit environ 100% par an. Depuis dix ans, ce taux improbable est resté quasi-constant.

L'universalité aux oubliettes

Mais dans le même temps apparurent de nouvelles difficultés. Plus élaborées, plus séduisantes, mais aussi plus complexes, les pages HTML provoquaient de nombreux problèmes. Selon l'ordinateur de l'internaute, son système d'exploitation, le format de son écran ou son navigateur, le document pouvait être altéré, malcommode ou même illisible. L'universalité voulue par Tim Berners-Lee passait aux oubliettes, laissant place à une absurde ritournelle affichée par une multitude de pages Web : « Site optimisé pour le navigateur xxxxxxx version x.xx en format 800X600 pixels ». Et tant pis pour tous les autres !

Pouvait-on ainsi délibérément écarter 10, 20 ou 30 % de la cible d'un site ? Cette position était évidemment intenable. J'ai appelé ce qui émergeait alors tout en dérangeant les habitudes du monde de l'édition, le contexte utilisateur. Notion encore marginale dans l'univers du papier : car que peut faire varier l'utilisateur d'un imprimé ? La quantité ou la couleur de la lumière ? S'il est presbyte, il est censé porter des lunettes. Quant à l'aveugle, désolé, mais on ne peut rien pour lui. Prière de s'adresser aux spécialiste de l'édition en braille.

A l'inverse, le nouveau domaine de l'édition électronique permettait d'envisager des contextes utilisateurs beaucoup plus variés : configurations matérielles et logicielles, mais surtout, choix des utilisateurs et usages. Pourtant, les moyens dont nous disposions à l'époque étaient dérisoires. Heureusement, le W3C poursuivait ses travaux...

La revanche du W3C

Le W3C (World Wide Web Consortium), organisme international à but non lucratif, créé en 1994 par Tim Berners-Lee et actuellement présidé par le français Jean-François Abramatic, est soutenu par l'INRIA, le MIT et l'Université de Keio. Il se consacre à la création des langages et des protocoles standards du Web en s'appuyant sur les compétences des acteurs du domaine : entreprises, centres de recherche, organismes publics, associations. Comme toutes les organisations de gouvernance de l'Internet, il fonde sa légitimité sur le consensus et vise à garantir l'intérêt général, l'interopérabilité et l'indépendance.

En réalité, le W3C n'a jamais renoncé aux concepts initiaux du Web. Il a su prendre en compte les évolutions tout en redéfinissant des objectifs innovants et audacieux. Ainsi sont nés les nouveaux « standards » du Web : XHTML, CSS, SVG, DOM... Peu à peu le consensus s'imposa à tous, même aux éditeurs de logiciels les plus réticents qui finirent par s'y rallier. Puis, le parc des navigateurs se renouvelant, le moment est enfin arrivé où le créateur de site Web pouvait à nouveau compter sur l'universalité du Web.

Le créateur de site distingue rapidement deux des principaux avantages qu'apporte cette répartition des rôles :

  • se consacrant à la mise en forme, CSS offre beaucoup plus de possibilités ;
  • modifier toute la charte graphique d'un site Web revient à modifier les seules feuilles de style CSS.

Mais il lui reste à percevoir l'essentiel !

Reprenons l'exemple d'une citation. Le fichier XHTML permet à mon navigateur de l'identifier comme tel. Quelle mise en forme devra-t-il lui appliquer ? Dorénavant, la réponse n'est plus univoque. Le tandem XHTML/CSS permet d'associer à un contenu plusieurs feuilles de style, c'est-à-dire plusieurs mises en forme. Nous pouvons donc résoudre élégamment une petite difficulté, habituelle mais agaçante, concernant les citations. En effet il est d'usage de les afficher en italique. Or c'est une mauvaise solution sur écran à cause de l'effet d'escalier qui apparaît sur les lignes obliques au point de ralentir sensiblement la lecture, surtout avec de petits caractères. En revanche, les imprimantes actuelles s'accommodent très bien de cette règle. Nous créerons donc deux feuilles de styles. Une pour affichage à l'écran, sans italiques mais, pourquoi pas, avec une couleur discrète juste suffisante pour rendre perceptible une différence sans trop attirer l'œil. L'autre, pour imprimante, avec des italiques, conformément à l'usage.

Attardons-nous un instant sur ce qui se passe pour un aveugle qui utilise un navigateur lisant les textes en synthèse vocale. Ne serait-ce pas une bonne idée que de faire dire une citation par une voix différente de celle qui dit le texte principal ? Voici une bonne piste notre troisième feuille de style. Et s'il préfère utiliser un navigateur convertissant en braille ? Là, je cale. Quels sont les critères d'une bonne mise en page en braille ? Une visite chez des spécialistes tels Braillenet s'impose.

Ainsi apparaît une façon radicalement différente de concevoir la création de sites Web. Nous sommes bien loin des illustrations faites au pinceau à un poil et des mises en page au pixel près. Les priorité sont ailleurs, plus proches du contenu et de l'usage qu'en fait le lecteur.

Les fabuleux standards du Web entre résistance et appropriation

Tout est en place pour une nouvelle génération de sites Web, plus universels, plus accessibles (particulièrement aux handicapés), mais aussi, dont le contenu serait plus adaptable aux attentes ou aux usages des internautes. Mais quelque chose résiste, la mutation tarde.

Trop complexe ?

Nous rencontrons tous de grandes difficultés pour convaincre de la pertinence de l'utilisation de ces techniques dès à présent. Que se passe-t-il ? Le W3C a-t-il sorti une « usine à gaz » trop complexe pour que le plus grand nombre se l'approprie ? Les convaincus de la première heure que nous sommes sont-ils incapables d'expliquer simplement ce qui les passionnent ?

Longtemps j'ai « traîné » ces questions sans entrevoir le moindre début d'une réponse. Et puis un jour, je tombe sur un « post » de Tristan Nitot dans la liste de discussion de pompage.net. Après avoir énuméré les bonnes raisons de passer aux nouveaux standards du Web, il conclue : Rien que cela impose au développeur le « lâcher prise » enseigné dans le Tao. Lâcher prise ! Mais bien sûr ! En clamant que le concepteur de site Web devait prendre en compte le contexte utilisateur, je n'avais fait qu'une partie du chemin. Il doit en plus « lâcher prise », accepter l'idée qu'il ne maîtrisera jamais totalement cet autre versant de la communication qui appartient à l'utilisateur. Voici un enjeu d'un tout autre ordre.

Du conteur à l'hypertexte

Dès lors, les choses s'éclairent. C'est tout naturellement que nous revient en mémoire ce que Christian Vandendorpe, évoque dans son remarquable essai : « Du papyrus à l'hypertexte ». Et nos questions sur les résistances aux Standards nous renvoient désormais à la longue histoire de la communication...

Au début était la communication orale. L'auditeur était totalement dépendant de l'orateur, du conteur. Il ne pouvait choisir ni le moment, ni le rythme, ni l'ordre. Il ne pouvait pas commencer par la fin ;-).

Puis vint l'écrit qui permit à l'auditeur une formidable prise d'autonomie en même temps qu'il devenait lecteur. Il pouvait enfin décider du rythme de sa lecture, relire plusieurs fois le même passage, s'arrêter pour réfléchir, élaborer des contre-arguments ou laisser filer son imagination.

L'imprimerie apporta à son tour les éléments tabulaires du livre (numéros de pages, tables des matières, index, notes de bas de pages, etc.). Le lecteur y trouvait de nouvelles libertés pour accéder au texte de multiples façons.

De nouvelles résistances

Mais à chaque étape, de nouvelles résistances apparaissaient. Ces apports, qui devinrent finalement libérateurs et décisifs, ne pouvaient s'imposer d'emblée. Il fallait d'abord que les conteurs-auteurs acceptent cette perte de maîtrise sur l'auditeur-lecteur. Ainsi par exemple :

  • pour Socrate, les textes écrits ne sont rien d'autres qu'un adjuvant de la mémoire pour celui qui sait déjà ce dont il est traité […], mais ils ne peuvent jamais dispenser la sagesse ; c'est là le privilège du discours oral ;
  • il fallut 2000 ans pour que l'écriture passe de la tablette d'argile au rouleau puis au codex ;
  • une crainte a taraudé les penseurs, jusqu'à une période encore récente : une telle accumulation d'ouvrages mis à disposition des lecteurs sans qu'ils aient besoin de guide n'allait-elle pas conduire à la confusion, à la barbarie et à l'ignorance ?
  • les premiers livres imprimés ont longtemps tenté d'imiter les splendeurs des manuscrits bien avant d'y renoncer pour finalement accéder à la perfection technique, un peu raide mais si commode, de la Bibliothèque de la Pléiade ;
  • les premières pages Videotex de notre vieux Minitel étaient très illustrées, très chargées graphiquement. Leur chargement dépassait souvent les 60 secondes. Tous les services arboraient le sempiternel « Bienvenue sur… ». Dix ans plus tard, plus de tunnel d'entrée, plus de logo pleine page, accès direct sur la rubrique la plus utilisée : les seuls services encore opérationnels étaient devenus minimalistes, fonctionnels et efficaces.

Ainsi le Web avant XHTML/CSS évoque-t-il le codex (manuscrit) avant qu'il ne devienne livre (imprimé). La communication est déjà bouleversée, mais l'outil ne dispose pas encore de ces subtils perfectionnements qui l'adaptent à sa fonction, qui lui donnent toute sa pertinence. Nous retrouvons de telles situation à la naissance de toute nouvelle technique de communication ; période innovante aux yeux des techniciens (plus quelques rares précurseurs), période réactionnaire pour les créateurs-auteurs-éditeurs. Cette réaction est d'autant plus virulente qu'elle peut tirer prétexte du manque de maturité de la technologie. Nous connaissons tous des graphistes qui « plaquent » leur culture du papier sur les fenêtres de nos navigateurs et des clients qui refusent de nous laisser concevoir leurs sites autrement que comme des plaquettes de prestige...

La maturité du Web

Avec XHTML et CSS, la donne change radicalement. L'outil arrive à maturité. Les potentiels sont décuplés. Les « créatifs » sont au pied du mur. Plus de bon prétexte pour esquiver. Et que croyez-vous qu'il va arriver ? Moi, je prends les paris : comme à chaque fois dans l'histoire de la communication, le créateur-auteur-éditeur, et l'utilisateur lui-même, vont s'approprier réellement l'outil. Ils vont inventer de nouveaux usages, de nouvelles expressions, ils vont enfin nous surprendre. Bien malin qui pourrait prédire comment. N'oublions pas que Gutemberg pensait à imprimer la Bible et que l'inventeur du téléphone pensait transmettre des airs d'opéra. N'oublions pas qu'Arpanet, première ébauche de ce qui devint Internet, n'a été créé que pour mutualiser les ressources informatiques de l'armée US (et non pas, comme le dit une légende agaçante, pour résister à une attaque nucléaire)...

Dès lors, comment s'étonner des résistances que nous observons à l'adoption des nouveaux Standards du Web ? L'adaptation qui est demandée au créateur-auteur-éditeur est de même nature que celle qui fût nécessaire au conteur pour devenir écrivain : apprendre, inventer, imaginer, créer, explorer de nouveaux territoires de l'intelligence, alors que dans le même temps les repères rassurants du « savoir faire » se dérobent et qu'il lui faut « lâcher prise », abandonner une part de son ascendant sur autrui. Il fallut trois millénaires ! Nous savons aujourd'hui que tous ces d'efforts ne sont pas vains, que bien au contraire, ils profitent à ceux qui les font mais aussi à ceux qui admirent leur art.

Et si nous faisions un peu de science fiction ? Se pourrait-il qu'un jour l'utilisateur d'un site redevienne aussi dépendant du créateur-auteur-éditeur que l'auditeur l'était du conteur ? Un Web connecté directement sur le nerf optique et disposant d'une bande passante quasi-illimitée ? Rêve ou cauchemar ? Je préfère penser que la perte de maîtrise de l'un et la prise d'autonomie de l'autre améliorent la communication ? En tout cas, c'est bien dans ce sens que vont les nouveaux Standards du Web.

À propos de cet article

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  • Mise à jour : 19 mai 2008

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