Propos recueillis le 29 juin 2005.
- L. Denis et E. Sloïm — Pierre Guillou, vous êtes responsable de la cellule accessibilité de l'association Braillenet. Pourriez-vous nous présenter ces deux entités ?
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P. Guillou — L'association BrailleNet est une association loi 1901, créée en 1997, qui mène campagne pour que les outils de nouvelles technologies (comme le Web) soient mis au service des personnes handicapées déficientes visuelles, afin qu'elles puissent accéder également à l'information, à l'éducation et à la culture.
Ses travaux portent en particulier :
- sur la bibliothèque numérique en ligne pour les personnes déficientes visuelles (http://inova.snv.jussieu.fr/colloques/helene-2005/ ; http://www.serveur-helene.org/) ;
- et sur l'accessibilité du Web à toutes les personnes handicapées conformément aux recommandations internationales du W3C/WAI (Web Accessibility Initiative).
La cellule accessibilité est le département de l'association BrailleNet qui s'occupe des activités concernant l'accessibilité du Web. Toutes ses activités concernent l'ensemble des personnes handicapées et pas uniquement les personnes déficientes visuelles. Nous agissons en particulier par la réalisation et la diffusion des guides facilitant la conception de pages Web accessibles, par des formations à l'accessibilité du Web, par notre participation à la concertation internationale menée au sein de la Web Accessibility Initiative du Consortium W3C, et par des actions ayant pour objectif de promouvoir l'accessibilité d'Internet dans l'Union Européenne, notamment par le projet Support EAM (création d'une marque de qualité européenne certifiant l'accessibilité des sites Web). La cellule accessibilité délivre également un label, AccessiWeb, qui garantit l'accessibilité d'un site et dont les critères ont été inclus dans le Référentiel Accessibilité de l'ADAE (Agence pour le Développement de l'Administration Electronique) pour les sites Web publics.
- L. Denis et E. Sloïm — Quels sont les avancées actuelles de l'accessibilité Web ? Ses priorités de développement ?
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P. Guillou — Il y a 3 niveaux d'observation pour mesurer l'état d'avancement de l'accessibilité du Web: la construction normative, l'environnement législatif et l'appropriation industrielle.
Aujourd'hui les recommandations du W3C/WAI font référence au niveau international. La version 1 de ces recommandations commence à dater un peu (1999) et l'annonce de la version 2 pour cette année ou début 2006 permet d'envisager prochainement d'enclencher une étape normative qui définira alors un cadre méthodologique cohérent des règles d'accessibilité.
Sans attendre cette version 2, la plupart des pays - notamment en Amérique du Nord et en Europe - ont légiféré pour rendre obligatoire l'application des recommandations internationales d'accessibilité pour leurs sites Web du secteur public. On peut regretter le manque d'harmonisation de ces différentes législations, mais le point positif est la reconnaissance d'un droit à l'égalité numérique pour tous. Il est à noter que la France a voté le 12 février 2005 la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont l'article 47 rend obligatoire l'accessibilité des sites Web du secteur public.
Les industriels, quant à eux, sont bien conscients de cette vague qui vient transversalement toucher toutes les applications numériques. Par exemple, nous trouvons de plus en plus d'outils de gestion de contenus qui intègrent tout ou partie des recommandations d'accessibilité. Mais pour les grands constructeurs informatiques, il s'agit encore d'attendre la fin de la construction normative et de la stabilisation de l'environnement législatif avant d'entrer en scène.
La volonté en particulier de la Commission Européenne de construire « une société de l'information accessible à tous » (plan eEurope 2005) permet de faire progresser ensemble dans un mouvement de convergence ces 3 axes (normes, lois, industrialisation). La priorité est bien cette convergence : harmoniser l'application des recommandations d'accessibilité du Web.
- L. Denis et E. Sloïm — Pouvez vous nous retracer brièvement l'origine et l'historique des 92 critères AccessiWeb? ? Leur ambition ?
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P. Guillou — La création et l'existence des critères AccessiWeb sont un parfait exemple de l'histoire de l'accessibilité du Web dans les différents pays (BlindSurfer en Belgique ou Drempels Weg au Pays-Bas ont suivi le même chemin de création). A partir des recommandations d'accessibilité du W3C/WAI de 1999, il était devenu nécessaire de trouver une méthode d'évaluation en français, car nous avions de plus en plus de demandes pour auditer des sites Web. Les critères AccessiWeb sont nés comme cela : permettre d'évaluer l'accessibilité des sites Web selon les recommandations internationales, par la mise en place d'une grille de critères et une méthodologie.
- L. Denis et E. Sloïm — Comment le référentiel Accessiweb va-t-il évoluer ?
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P. Guillou — Selon les recommandations internationales du W3C/WAI. En attendant la version 2 de ces recommandations, nous avons engagé avec les 85 experts du Groupe de Travail AccessiWeb un travail de relecture des critères AccessiWeb et de leurs commentaires associés afin de faciliter leur compréhension et leur utilisation. Ce travail devrait se terminer au mois de juillet 2005.
- L. Denis et E. Sloïm — Quel est le rôle du futur Guide AccessiWeb, dont vous avez annoncé la publication sur Accessiweb.org ?
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P. Guillou — Le Guide AccessiWeb s'inscrit dans cette logique de rendre compréhensible et utilisable par tous les recommandations d'accessibilité. Toujours avec les experts du Groupe de Travail AccessiWeb, nous avons lancé ce grand chantier : créer une fiche par critère AccessiWeb pour mieux l'expliquer, comprendre son intérêt pour une personne handicapée et faciliter ainsi son implémentation dans un site Web. Le Guide AccessiWeb devrait être publiquement en ligne à la rentrée en septembre.
- L. Denis et E. Sloïm — A quels stades du développement d'un projet Web recommandez-vous la prise en compte de l'accessibilité ?
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P. Guillou — Par expérience, il apparaît clairement aujourd'hui que rendre accessible un site Web revient à mettre en place un processus qualité sur toute la chaîne de développement et de maintenance du site. A chaque stade de développement, il faut penser accessible. Ensuite, il faut réfléchir à la maintenance du site, c'est-à-dire en particulier à la chaîne de production de l'information électronique. Qui dans l'entreprise va donner l'alternative texte à une image ? Le webmaster comme la plupart du temps ou la personne qui a demandé à mettre cette image et qui connaît par conséquent le sens qu'elle veut la voir véhiculer ? La sensibilisation des décideurs et la formation des éditeurs, chefs de projets et développeurs apparaissent comme indispensables pour que la mise en place de ce processus qualité devienne une évidence et pour que chacun acquiert la compétence accessibilité dont il a besoin dans son métier.
- L. Denis et E. Sloïm — Parmi les différentes problématiques de l'accessibilité, les handicaps cognitifs vous semblent-ils actuellement suffisamment pris en compte ?
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P. Guillou — La réponse est sûrement non mais ils le sont en partie. En effet, la base même de l'accessibilité Web est la cohérence de la navigation, la simplicité des textes, la logique de disposition de l'information et la séparation du contenu de sa mise en forme qui permet à des logiciels d'aide d'appliquer à l'information Web une mise en page plus adaptée. Cela est sûrement encore insuffisant, mais pour améliorer la situation, le champ des logiciels et matériels d'usage doit aussi progresser, et pas seulement les recommandations d'accessibilité. Il faut en effet bien distinguer:
- les recommandations d'accessibilité qui s'appliquent aux contenus électroniques envoyés à l'internaute ;
- les logiciels et matériels de consultation (d'usages) qui lui permettent de personnaliser la lecture de ces contenus en fonction en particulier de son handicap.
La progression à la fois de l'accessibilité et des logiciels d'usage permettra à terme de résoudre une partie de la problématique.
- L. Denis et E. Sloïm — La démarche d'accessibilité bénéficie-t-elle à un projet Web au-delà de la seule problématique d'accès des personnes handicapées ?
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P. Guillou — C'est en effet une question dont la réponse intéresse un grand nombre de personnes : au-delà de l'obligation législative (en Angleterre , les sites privés aussi doivent être accessibles depuis le 1er octobre 2004), l'accessibilité de mon site va-t-il me rapporter ? La réponse est clairement oui. Il serait difficile de citer ici tous les exemples de bénéfices. En voici quelque uns : élargir votre audience à de nouvelles populations, véhiculer une image citoyenne de votre organisme, donner accès à votre site aux internautes qui consultent le Web autrement (synthèse vocale, téléphone, PDA, etc.), fidéliser vos internautes, avoir un site facilement repérable sur le Web par les internautes...
Pour avoir un témoignage sur une expérience concrète, je vous invite à lire l'article : L'intérêt de déployer les standards d'accessibilité dans l'Intranet d'une grande entreprise: l'expérience IBM. Les bénéfices de l'accessibilité y sont bien réels.
- L. Denis et E. Sloïm — Comment respect des standards et accessibilité sont-ils liés ? Etre standard, est-ce être accessible ? Ou réciproquement ?
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P. Guillou — L'esprit et la lettre sont identiques. L'accessibilité se base techniquement avant tout sur le respect de standards. Des éléments supplémentaires comme donner une alternative texte équivalente à tout objet graphique viennent ensuite s'ajouter à ce respect nécessaire des standards. Mais l'idée est bien commune : faire de la qualité utilisable par tous.
- L. Denis et E. Sloïm — A l'heure actuelle, conseilleriez-vous une démarche accessibilité, une démarche de respect des standards, une démarche qualité globale ou un processus enchaînant ces différents aspects ?
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P. Guillou — Sur la brique des standards, il faut construire des applications accessibles rendant possible l'accès multi-usages. Seule une démarche qualité globale englobant ces processus et les synchronisant peut conduire à un tel résultat et à sa maintenance dans le temps.
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