HTML5, AOL et Gandhi

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Abstract

HTML5 peut-il s’imposer face à Android et iOS ? L’histoire a tendance à se répéter, et il y a sûrement une leçon à tirer du passé pour mieux comprendre l’avenir.

Article

Le bon vieux temps des réseaux propriétaires

AOL Free time
Photo par Dehub - CC BY-NC-SA 2.0

Ma première expérience des réseaux ouverts au public date de la fin des années 1980, début des années 1990. A l'époque, les trois principales options pour ceux qui voulaient se connecter étaient AOL, Compuserve et – pour les français – le très fameux Minitel. Ces réseaux étaient fascinants pour moi, car ils permettaient de découvrir les services et communautés en ligne. Pour cela, il suffisait d'installer le logiciel client sur votre PC (ou de se procurer un Minitel) et de payer l'accès. On pouvait accéder à une messagerie, des forums, des services proposés par des marques et bien d'autres choses. Seul souci : ces plateformes en ligne étaient incompatible entre elles. Impossible d'envoyer un message d'AOL vers le Minitel, impossible pour un abonné AOL d'échanger sur des forums Compuserve. Tous les services étaient des "silos d'information", étanches entre eux. L'accès à ces services était à la fois enthousiasmant car ils permettaient l'échange à l'échelle du globe, et il était en même temps très frustrant, quand on réalisait que des incompatibilités techniques entre les services mettaient des cloisons entre les utilisateurs.

Ça n'est qu'au milieu des années 1990 que le Web a commencé à toucher le grand public, entraînant avec lui le déploiement d'Internet auprès des particuliers. Il faut bien avouer que le Web des premiers jours était beaucoup moins bien que les services propriétaires qui avaient été peaufinés depuis des années. Les forums Web étaient inexistants, le contenu de qualité franchement rare et paramétrer une adresse email rebutant, sans compter que TCP/IP n'a pas été supporté nativement sur les ordinateurs personnels avant Windows 95. Tout cela faisait le bonheur des réseaux propriétaires qui riaient des faiblesses du Web et de l'Internet.

Pourtant, en quelques années et sous la pression des utilisateurs, les réseaux propriétaires ont dû s'ouvrir à Internet. Compuserve a commencé à fournir des adresses email pour que ses clients échangent avec les utilisateurs d'Internet. Ensuite, une « passerelle » vers le Web a été ouverte, pour pouvoir surfer depuis son abonnement Compuserve. La brèche était ouverte. On avait soulevé le couvercle de la boîte de Pandore, et plus rien ne serait comme avant. Les utilisateurs ont commencé à apprendre à faire des pages Web. Il faut dire qu'il leur suffisait de faire « View Source » pour voir comment c'était fait à l'intérieur. Comme les PC sont livrés avec des éditeurs de texte, c'était facile et amusant d'apprendre à écrire sa « personal home page ». Je n'ai pas échappé au phénomène en publiant Virtual Bob en 1996 (allergiques aux GIF animés s'abstenir). Différents services d'hébergement gratuits ont vite ouvert comme Mygale.org et Geocities. Des milliers de hobbyistes se sont mis à faire des pages Web, alors que les services propriétaires chantaient les louanges des Walled gardens (jardins clôturés) qui étaient d'après eux bien plus intéressants car structurés et professionnels que le Web, cet espace en friche.

Les services propriétaires stagnant alors qu'Internet est adopté massivement par les consommateurs, AOL rachète Compuserve en 1998 et se transforme progressivement en fournisseur d'accès à Internet. Son contenu « exclusif » est publié sur le Web. Aujourd'hui, AOL est presque exclusivement un fournisseur de contenu éditorial sur le Web, alors que son activité d'accès Internet est négligeable.

La victoire d'Internet et du Web

À première vue, le Web ne semblait pas à même de concurrencer les services propriétaires. Le Web était limité techniquement au début, sans budget marketing pour en faire la promotion, sans contenu, sans applications. Il a pourtant réussi à balayer les plate-formes en ligne propriétaires, lesquelles étaient solidement établies techniquement et financièrement. A ses débuts, l'accès Internet était même plus coûteux que celui aux réseaux propriétaires, qui bénéficiaient d'économies d'échelle.

L'ouverture a changé les règles

Comment se fait-il qu'un challenger limité techniquement ait réussi à battre les plate-formes propriétaires établies ? C'est sa nature ouverte et décentralisée qui lui ont donné l'avantage. Internet et le Web sont basés sur des standards ouverts qui permettent la participation de tous. Des développeurs ont pu créer des services innovants sans avoir à négocier de contrat avec le propriétaire du réseau. Des bidouilleurs ont pu créer du contenu sans avoir à demander la permission. Des entrepreneurs ont pu devenir fournisseurs d'accès Internet ou hébergeurs.

Ceci, combiné au logiciel libre, qui permet à chacun de tester, bidouiller, créer de nouveaux services innovants ou de créer des alternatives aux services propriétaires en version ouverte. C'est l'ouverture d'Internet et du Web qui a fait leur succès, balayant les plate-formes fermées en quelques années.

La bataille entre services propriétaires et Internet me fait penser à la fameuse citation de Mahatma Gandhi :

D'abord ils vous ignorent, puis ils se moquent de vous, ensuite ils vous combattent, et alors vous gagnez.

La situation sur le mobile

Nous sommes maintenant en 2013, et les principales plate-formes mobiles (Apple iOS, Google Android, Microsoft Windows Phone, BlackBerry, etc) sont incompatibles entre elles. Ces plate-formes, iPhone en tête, ont apporté leur lot d'innovation. Mais l'histoire est sur le point de se répéter, avec l'arrivée de HTML5, une évolution des technologies Web ouvertes qui ont changé le monde vingt ans plus tôt.

Les plate-formes mobiles existantes vont devoir s'ouvrir et permettre l'exécution des applications Web mobiles. Android, une fois Firefox installé, fait déjà tourner des applications Web du Firefox Marketplace. Firefox OS les fait tourner nativement. Microsoft Windows Phone et BlackBerry revendiquent la compatibilité avec les applications en HTML5. Même iOS, qui aux débuts de l'iPhone était un pionnier des Web applications, ne pourra pas longtemps ignorer cette tendance de fond, qui redonne aux utilisateurs la possibilité de créer des applications, sans passer par les fourches caudines d'une boutique applicative. Tous les acteurs visant la troisième place derrière Apple et Google misent sur HTML5, comprenant bien que c'est leur seule chance de se faire une place. Les développeurs eux-même développent en HTML5 puis avec des outils comme PhoneGap/Cordova et similaires, leur donnent une apparence native avant soumission aux boutiques applicatives de Google et d'Apple.

La maxime de Gandhi s'appliquera-t-elle au mode des applications Web mobiles ? Je suis prêt à le parier : nous avons constaté l'ignorance, essuyé les moqueries. Mais voici le moment du combat et, bientôt, de la victoire. La victoire du Web, cette technologie ouverte qui donnera aux utilisateurs plus de contrôle sur leurs vies numériques. Aidez-nous à écrire une nouvelle page de l'histoire du Web en développant des applications Web mobiles. Il y a une immense satisfaction à écrire une page de l'histoire de la technologie, d'autant plus quand elle offre à chacun, utilisateur, développeur ou entrepreneur, plus de liberté et d'opportunités.

À propos de cet article

Vos commentaires

  • karl Le 19 mars 2013 à 11:44

    Microsoft Windows Phone et BlackBerry revendiquent la compatibilité avec les applications en HTML5. […] Tous les acteurs visant la troisième place derrière Apple et Google misent sur HTML5, comprenant bien que c’est leur seule chance de se faire une place.

    À mon avis, la clé et l’enjeu de la situation est là. Les acteurs vivent l’ouverture et le respect de cette ouverture parce-qu’ils ne sont pas en position dominante. Exactement pourquoi Opera Software promeut les technologies Web ouvertes. Exactement pourquoi Apple a, à un moment, proné l’ouverture avec Darwin (MacOSX) face à Windows, etc. L’enjeu n’est pas tant la technologie mais la position macro-économique des organisations qui supportent la technologie.

    Dès qu’une compagnie a suffisamment de pouvoir pour contrôler une masse critique du marché, peu importe la technologie de départ elle aura tendance à refermer la plateforme tout en utilisant des technologies ouvertes. MacOSX est la fourche caudine d’un Unix BSD ouvert. Android est un linux. De nombreux serveurs dans le monde tournent sur Apache. Amazon (aws) tourne sur des technos ouvertes, etc. etc. etc.

    Ce que nous devrions avoir dans ce monde, c’est en effet une pile de technos ouvertes pour que tout le monde puisse hacker, mais ce n’est pas suffisant. Il nous faut également une sorte de contexte légal pour interdire aux compagnies de refermer les systèmes. Et ça, ça c’est loin d’être gagné ou même réalisable.

  • Oncle Tom Le 19 mars 2013 à 14:12

    La posture que décrit Karl est exactement celle qui a été adoptée par les constructeurs de consoles de jeux vidéo depuis 15 ans :
     Sony a créé une première PlayStation facilement piratable (surtout à l’aube des graveurs CD)
     SEGA avec la DreamCast
     Microsoft avec la première Xbox
     Nintendo avec la Wii et la première DS
     Sony à nouveau avec les premières PSP

    Est-ce qu’on aura la même chose avec des navigateurs Web ? ;-)

  • Da Scritch Le 20 mars 2013 à 16:45

    Penser en terme d’application mobile est une très courte vue :

    1- Pour les mises-à-jour rapides, vous êtes coïncés. Avec un risque de dissymétrie des applications entres elles
    2- Si une autre plateforme monte très vite (Windows 8P ? WebOS ? BB ? SFR-OS ? AuchanOS ? SamsungTV OS ?), vous devez redévelopper/redéployer à couts hallucinants .
    3- On est dépendant d’un business model qu’on ne maitrise pas. Qui se souvent encore de Zynga ?

  • Domi Le 4 avril 2013 à 08:43

    L’universalité de HTML5 va bien évidemment balayer tous les systèmes propriétaires.
    Une petite digression : Dans les années 90 j’utilisais HOL (Havas OnLine) :o)

  • Aeon Le 10 avril 2013 à 18:19

    La question qui dirige le monde est "Que veut-on ?".
    Dire que les app est à courte vue est faux : le but est l’argent. L’argent vient avec le service, l’innovation,... bref. Si je peux me faire 500k en 6 mois et que je n’aurais un pas un rond par la suite alors non ça n’est pas être à courte vue. Par contre ça n’aide pas l’humanité. Mais le but n’est pas l’humanité pour de telles personnes.

    Bref tout ça pour dire qu’avoir une association à but non lucratif ça aide, remercions les encore (et remercions google de les financer :D )

  • Thomas Le 26 septembre 2013 à 09:29

    Il reste encore le problème de la performance du HTML5 / JS comparé à une application native solide, fluide et utilisant parfaitement toutes les fonctionnalités du smartphone.

    Les solutions en PhoneGap/Cordova ont beau être maintenables et multi-plateformes, elles ne peuvent pas pour le moment combler l’ensemble du besoin en applications mobiles.

    Néanmoins, c’est vrai qu’un FirefoxOS utilisant nativement HTML5 pourrait redistribuer les cartes et donner le ton aux autres systèmes d’exploitations ... :)

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