Quels sont aujourd’hui selon vous les enjeux majeurs dans le champ de l’accessibilité ?
L’accessibilité des sites Internet est un enjeu social majeur. Rendre les sites Internet accessibles, c’est permettre à des personnes handicapées de communiquer, de s’informer, de chercher et de trouver du travail, d’effectuer des démarches administratives et de commander des produits en ligne sans avoir obligatoirement à se déplacer. Pour chacun d’entre nous, faire toutes ces opérations en ligne est très pratique. Pour les personnes handicapées, ce n’est pas seulement pratique, cela peut s’avérer fondamental.
Par ailleurs, la personne en situation de handicap, ce n’est pas « les autres », c’est moi dans 10 jours, ou dans 30 ans lorsque ma vue et ma mobilité auront baissé. Ce sont également mes parents, mes enfants, mes voisins, mes proches à un moment où à un autre de leur vie.
Mais résumer cette problématique à la question du handicap serait une erreur. Ce sujet touche aussi les seniors, les utilisateurs de l’Internet mobile ou les personnes connectées en bas débit.
En réalité, nous allons de plus en plus souvent parler d’accessibilité et de design universel. De la même façon que la télécommande ou les livres audio, qui ont été initialement inventés pour des personnes handicapées mais finalement adoptés par tous, le travail sur l’accessibilité universelle facilite la vie de l’ensemble des utilisateurs.
Pressentez-vous un intérêt suffisant des pouvoirs publics sur le sujet ?
L’intérêt des pouvoirs publics sur ce sujet n’est pas choisi mais subi. La mise en accessibilité est vécue uniquement comme une source de dépenses, en réponse à une contrainte juridique. C’est une vision étriquée et erronée de la question car elle ne prend pas en compte les bénéfices collatéraux.
Comme nous le disons souvent, Google est le plus grand handicapé du Web : il est aveugle, sourd, n’utilise pas de souris… Par rebond, rendre un site accessible, c’est donc améliorer son référencement. Pour un site de e-commerce c’est aussi augmenter le nombre d’acheteurs potentiels. C’est également améliorer la robustesse du site et sa compatibilité avec l’infinité de matériels et de logiciels d’accès au Web.
Vous avez dit :
L’accessibilité, si vous ne le faites pas pour les autres, faites-le pour vous.
Provocation ou bon sens ?
Cette phrase était une façon de dire qu’il faut sortir des visions classiques de l’accessibilité. Cette démarche a un intérêt qui se situe bien au-delà des poncifs classique « j’ai fait un site pour les handicapés » ou encore pire « mon site est accessible aux aveugles ».
Pour moi, il est urgent de déplacer le débat du terrain déontologique au terrain opérationnel. Cela nous oblige à aborder des choses aussi terre-à-terre que le retour sur investissement, le référencement ou le marketing.
Il est temps de sortir de la vision affective de l’accessibilité. Je ne rends pas uniquement un site accessible pour des raisons philanthropiques, je le rends accessible parce que cela développe mon activité, parce que cela m’aide à trouver de nouveaux clients ou usagers.
Les opportunités d’accès au Web se multiplient : téléphones, tablettes. Quel est l’impact de ce foisonnement sur vos problématiques ?
La multiplicité des contextes de navigation et d’accès aux services en ligne est un formidable levier pour la qualité et l’accessibilité Web. Elle nous impose la standardisation des techniques de création de sites. Attention, cela ne veut pas dire que tous les sites vont se ressembler, cela veut dire qu’il est illusoire de fabriquer un site qui se voit de la même façon sur un écran de téléphone mobile, un écran d’ordinateur portable ou via un logiciel de lecture d’écran utilisé par une personne handicapée.
Un site universel, c’est un site qui permet d’accéder à la totalité de son contenu utile quel que soit l’environnement de consultation : sur un téléphone mobile par exemple ou encore en contexte vocal, pour les non voyants, notamment.
Alors, oui, aujourd’hui, il est possible de créer des sites dont les contenus sont consultables de manière quasi universelle. Pour ceci, il faut au minimum séparer le fond de la forme et privilégier des standards ouverts. Ceux-ci permettent de se prémunir à la source contre les problèmes de compatibilité.
Avec de solides compétences techniques, de design, d’ergonomie, et des contenus de bonne qualité, un site peut être utile, magnifique, accessible aux personnes handicapées et consultable dans presque tous les contextes. Je vous l’accorde, ce n’est pas forcément simple, mais le Web ne diffère pas des autres métiers de la « vraie vie » : l’obtention de la qualité demande des compétences professionnelles pointues.
On a pu dire que le Web se fragmente en sous-réseaux, parfois liés à la possession d’une machine particulière (applications sur certains mobiles seulement par exemple, ou contenus nécessitant forcément d’appartenir à un réseau social). Que pensez vous de cette tendance sur le long terme ?
Il m’est très difficile de répondre à cette question. Internet change à une vitesse invraisemblable, et les retournements de tendances sont légion. Un certain nombre de facteurs poussent à cette création de sous-ensembles. C’est le cas des réseaux sociaux, des technologies propriétaires, des monnaies virtuelles dédiées à des espaces délimités, des clubs fermés, des politiques de contrôle de l’Internet. Mais dans le même temps, un grand nombre d’approches vont dans le sens inverse : Open data, Open source, architectures décentralisées…
Le fait que le Web se fragmente en sous-réseaux ne me pose pas vraiment de problème. Cela dit, par conviction, je pense que cette fragmentation ne peut se faire qu’à la condition expresse que ces différents sous-réseaux soient interopérables, qu’ils ne soient pas étanches, fermés les uns aux autres. Ce n’est pas la tendance actuelle, et c’est regrettable.
Vous avez écrit un billet sur « le droit à l’erreur »… de quoi s’agit il ?
Ma nature me pousse à vouloir sauver le monde en empêchant les créateurs de sites de commettre des erreurs de conception. Je me suis souvent retrouvé en situation de dire : ne fais pas de cette façon, ou n’utilise pas cette technique. Et très souvent, les personnes à qui je donnais des conseils s’empressaient de ne pas les suivre. Je suis arrivé à la conclusion suivante : si une personne ne te demande pas de conseils, n’essaye pas de lui en donner. Plus précisément, certains d’entre nous ont besoin d’expérimenter et de faire des erreurs pour apprendre.
En tant que professionnel du Web, cela fait plus de dix ans que j’apprends par mes erreurs. Et je vais continuer. Dès lors, je ne vois pas pourquoi je n’accorderais pas à des webmasters débutants ou des développeurs confirmés un droit que je m’accorde généreusement depuis bien longtemps. ;-)
De manière générale, si vous vous souhaitez continuer de bénéficier de ce droit à l’erreur, évitez de me demander ce qu’il faut faire pour avoir un site évolutif, accessible et de bonne qualité, je peux être extrêmement pénible dans ce domaine. Je peux notamment vous donner une liste de 217 bonnes pratiques qualité Opquast élaborées par la communauté. Il vaut mieux être prévenu. :-)
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui s’apprête à concevoir ou faire concevoir un site Web ?
Si vous faites un site personnel, je n’ai aucun conseil à vous donner. Si vous créez un site professionnel, associatif ou administratif, sachez que la création Web est un métier. Comme dans tous les métiers, il y a des standards, des pratiques, des usages.
Si vous ne travaillez pas avec des professionnels (agences, collègues, sociétés informatiques) qui connaissent ces standards et ces usages, attendez-vous à devoir acquérir vous-même des compétences nombreuses et complexes.
Quoi qu’il arrive, que ce soit grâce à vos succès ou grâce à vos échecs, je ne doute pas que vous allez prendre beaucoup de plaisir dans cette entreprise.
Citation préférée :
Le problème avec les citations sur Internet, c’est qu’on est jamais sûr de leur origine.
Victor Hugo
Vos commentaires
# muchos Le 28 septembre 2012 à 02:57
Entretien très intéressant, notamment parce qu’il montre que l’accessibilité est aussi au service du site lui-même (meilleur rendu, meilleur référencement…)
Pour ce qui est d’apprendre de ses erreurs, c’est très juste. Néanmoins, il n’y a rien de plus décourageant que de devoir recoder en profondeur. On fera donc bien de partir sur des bases simples et solides :)
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